Lorsqu’un avion décolle, il s’élance contre le vent. Sans doute par réflexe corporatiste, le fleuron de l’aviation nationale luxembourgeoise a donc décidé de se lancer dans une communication faisant fi des vents contraires.
Vendre des vols comme on vend … de la lessive
Pour vendre les billets d’avion, les compagnies aériennes font souvent preuve de créativité et d’originalité. Ce sont elles par exemple qui ont développé à outrance les stratégies de vente de billet à prix dynamique, évoluant selon différents critères comme la demande, le temps entre la réservation et la date du vol, le profil du client, ses recherches Internet, etc. faisant que deux passagers côte-à-côte peuvent avoir payé du simple au double leur billet d’avion. Politique de tarification dynamique qui a malheureusement été reprise par les compagnies ferroviaires ou pour la vente de billets de concert.
Mais parfois, dans cette océan de libéralisation, on trouve une pépite, cette petite information qui vient mettre du baume au cœur, qui vous redonne foi en l’humanité : Luxair lance l’opération inédite « High Five ». Accrochez-vous à votre siège, Luxair révolutionne le marketing de la vente de billet d’avion : pour 5 vols achetés, le 6ème est gratuit. Comme les paquets de papier toilette au supermarché du coin, comme la lessive quelques rayons plus loin. Encore mieux que le kebab du coin pour qui il faut en acheter 9 pour disposer du dixième gratuit.
J’étais si bluffé par autant d’audace que je me suis immédiatement précipité sur mon ordinateur pour m’empresser de commander les 5 billets pour avoir le 6ème gratuit, pensant à ce ringard de Jancovici qui veut limiter à 4 vols par personne au cours de la vie. Non, si tu veux ton billet gratuit, Luxair t’oblige à faire le 5ème voyage et t’offre le 6ème ! Et cela dans un intervalle d’un an, soit un voyage tous les deux mois, sachant que les vols professionnels sont exclus.
Mais contrairement aux lessives, cette offre ne s’adresse pas au grand public. Quelle catégorie de personne peut se permettre une telle fréquence ? Les plus riches, ceux qui peuvent non seulement dépenser leur argent pour leur vol, mais aussi, une fois arrivés à destination : la location ou l’hôtel, les moyens de transports sur place, la restauration, etc.
Source : luxair.lu
Faire de l’avion un bien de consommation courante
Car derrière cette publicité qui sent bon la réclame des années 50, il y a le signe de la volonté de faire de l’avion un bien de consommation courante. De forcer à l’achat et à la consommation de ce mode de transport le plus polluant qui non seulement a son propre impact carbone mais génère aussi des dégradations sur l’environnement, à la fois direct, entrainant la pollution du ciel avec l’émission des particules fines et du bruit nuisible aux riverains des aéroports et indirect, en encourageant le tourisme de masse au détriment des écosystèmes.
Dans son rapport « Voyager Bas Carbone » (voir ci-dessous), le Shift project rappelait que l’aviation était responsable de 54% des émissions de gaz à effet de serre émis lors de déplacements longue distance, soit 10% de plus que la voiture. Les plus matheux d’entre vous auront compris que train et autocar représentent à eux deux moins de 1% des émissions, en raison d’un double effet : un plus faible impact par kilomètre et moins de kilomètres parcourus.
Alors que le train devrait être soutenu sans relâche, tant au niveau des infrastructures que des services et du prix payé par la clientèle, que les gouvernements souhaitent réduire les dépenses et lancer des plans d’austérité, on maintient les privilèges en faveur de l’aviation, comme les larges exonérations de taxe, en particulier sur le carburant.
Avec en soutien des articles qui ressemblent à des publi-reportages dans la presse luxembourgeoise, les journalistes se contentant la plupart du temps de reformuler les communiqués de presse de Luxair, que ce soit par exemple, pour vanter le nombre de passager ou faire de la réclame pour l’ouverture d’une nouvelle liaison au départ de Luxembourg. Avec, comme pour les billets d’avion ou la lessive : 5 articles écrits, le 6ème gratuit ?
The Shift Project : Voyager Bas Carbone
The Shift Project est un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone. Association loi 1901 d’intérêt général et guidée par l’exigence de la rigueur scientifique, notre mission est d’éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique, en France et en Europe.
Le transport des voyageurs, avec celui des marchandises, fait partie des secteurs les plus dépendants au pétrole. 85 % des distances parcourues par les Français pour leurs voyages le sont grâce à des carburants fossiles (essence, diesel, kérosène). Comment transformer en profondeur la mobilité longue distance pour le rendre résiliente aux chocs climatiques et énergétiques tout en conservant le plaisir de voyager ?
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