Alors que des mégafeux ravagent la banlieue d’Athènes, les alertes sur le manque d’équipement ou d’effectifs des sapeurs pompiers en Europe se multiplient.

La dernière alerte date du 12 août 2024. Elle a été émise sur France Info par Eric Brocardi, le porte parole de la Fédération Nationale des Sapeurs Pompiers. Dans son intervention Mr. Brocardi est sans détour; les sapeurs pompiers ne sont plus au niveau face à la crise climatique. Les effectifs en sont réduits à « amortir le choc du dérèglement climatique » dont la violence dépasse à présent « largement notre niveau d’équipement ». Il n’est hélas pas le seul à faire ce constat. De l’autre côté de la Méditerranée, toujours sur France Info, les pompiers grecs se plaignaient le 13 août 2024 de partir au front sur le mégafeu de Marathon sans même être équipés de gants. Ce défaut d’équipement se retrouve au plus haut niveau. Toujours dans la même semaine le pilote d’avion anti-incendie Benoit Quennepoix informait dans Corse Matin que dans la flotte française, seuls trois canadairs sur douze étaient opérationnels.
Comment en est-on arrivé là ? Bien sûr il y a la crise environnementale elle-même. D’après l’ONF, entre 2011 et 2020 la surface moyenne détruite par les megafeux dans le sud est de la France était de 7000 hectares par an. En 2022 l’ampleur de la destruction dans la même zone géographique était passée à 17 000 hectares. Au niveau mondial une communication de la revue Nature datée du 24 juin 2024 nous livrait le même type de constat ; la fréquence des feux de forêts extrême a déjà doublé depuis vingt ans. Les raisons sont connues, l’accumulation de gaz à effet de serre d’origine humaine dans l’atmosphère augmente la température moyenne au niveau mondial. Ces records de chaleurs, qui ne sont pas remis en cause par le printemps pluvieux en Europe de l’Ouest en 2024, allonge par ricochet la saison des incendies ainsi que la zone susceptible d’être dangereuse. Ce rythme frénétique, nous en sommes à 13 records de chaleurs mensuels d’affilés qui ont fait passé pour la première fois la température moyenne annuelle au dessus de 1,5°, est exacerbé en Europe où, d’après le système de satellite européen Copernicus, la hausse des températures est deux fois plus importante que la moyenne mondiale.
Mais la situation que révèlent les sapeurs pompiers en Grèce ou en France vient aussi de l’obsession européenne pour les coupes dans les dépenses publiques, aussi appelée austérité budgétaire. Ainsi si les canadairs français ne sont opérationnels en plein mois d’août c’est du à une combinaison d’économies sur les dépenses publiques que nous payons aujourd’hui. En 2022 déjà, Emmanuel Macron avait été prévenu que la flotte d’avions anti-incendie était vieillissante, ce qui nécessite plus de réparations, donc plus de pièces et plus de personnel technique disponible entre chaque vol. Engagement avait été pris de commander de nouveaux appareils lesquels ne seront pas disponibles avant…2028. En attendant le gouvernement français a décidé au printemps 2024 de couper 53 millions d’euros dans le budget de protection civile ce qui impacte l’achat de pièces détachés mais aussi la rémunération du personnel. Conséquence logique, et alors que l’inflation court toujours, l’entreprise chargée de la maintenance des avions accumule les problèmes d’effectifs sur fond de conflit social régulier autour de la question des salaires. Autre conséquence logique, lorsque les services publics sont détruits les sapeurs pompiers n’ont d’autre choix que de se tourner vers le secteur privé. D’après un article du Huffington Post paru le 13 août 2024 le gouvernement français se retrouve à devoir louer des appareils et du personnel à des sociétés privés. Sauver des vies devient donc une source de profit pour des entreprises et donc un moyen de pression pour extorquer le plus d’argent possible en l’échange d’un service d’urgence dont le but est de sauver des vies.
En Grèce la situation n’est hélas pas plus reluisante. Un article de 2021 paru dans Ouest France rapportait que le corps de sapeurs pompiers de la caserne d’Ekali (49 hommes et 13 femmes) était forcé de s’équiper lui-même. Le drone de surveillance des flammes avait été acheté grâce à des dons et dépendait d’une entreprise privée (le profit toujours). Un autre article datant de 2021 et paru dans le journal Marianne donnait la parole au chef des pompiers volontaires sur l’ile d’Eubée. Ce dernier se plaignait que les pompiers devaient tout acheter eux même, de leur matériel de protection jusqu’à l’essence pour se rendre sur les incendies. Dimitris Strathopoulous le secrétaire de la fédération nationale des pompiers reconnaissait que la situation venait de dix ans d’une politique austéritaire féroce imposée par l’Union Européenne sur le peuple grec. A l’époque sur les 36 avions de la protection anti-incendie grecque, neuf n’était plus capable de voler dès que la température dépassait 38°. Au vue des plaintes des pompiers grecs obligés de partir en intervention sans gant en Août 2024 il est clair que le problème n’est pas résolu.
Il l’est d’autant moins que l’addiction austéritaire de l’Union Européenne est repartie de plus belle en 2024. En effet les 53 millions d’économies réalisées par le gouvernement français sur le dos de la protection civile sont à mettre dans un contexte plus large d’une réduction des dépenses publiques de 10 milliards d’euros, dont plus 2.2 milliard d’euros rien que sur le budget dédié à l’écologie, décidée en mars 2024. Cette décision s’inscrit elle-même dans la tendance générale de réduire les dépenses publiques décidée par les gouvernements européens et le parlement européen le 23 avril 2023. Dans ce nouveau cadre budgétaire les états doivent réduire chaque année leurs dépenses publiques de 0,5% à 1%. Pour la première année cela veut dire plus de 100 milliards d’euros de dépenses publiques en moins au niveau du continent. D’après la confédération européenne des syndicats seuls 3 pays sur 27 seront en mesure de pourvoir à l’intégralité de leurs dépenses sociales et écologiques. On comprend mieux pourquoi les effectifs de pompiers au niveau européen fondent comme la neige éternelle au soleil du capitalocène. En 2023, toujours d’après une étude de la confédération européenne des syndicats, on pouvait découvrir qu’entre 2021 et 2022 la Belgique avait perdu 1787 pompiers, l’Allemagne 1821, la France 5446 ou le Portugal 2907.
En conclusion le message de la classe dirigeante européenne est clair. Nous n’investirons pas dans la transition écologique vitale pour la protection de la vie humaine. Il faut faire confiance aux marchés et il faudra enrichir les plus riches pour espérer combattre la crise climatique. En parallèle il ne faudra pas non plus espérer de financements pour nous protéger des effets de la crise climatique mais là aussi quémander des entreprises privés pour qu’elles veuillent bien remplacer les services publics détruits. En Grande Région par exemple, il faudra peut-être supplier CargoLux qui depuis 2023 songe à acheter des canadairs. Quand on relie cette conclusion au fait que le 23 avril, non content de réduire le gâteau pour les peuples, la Commission européenne a obtenu que les dépenses militaires soient augmentées et que la lutte contre les immigré.e.s (et celleux perçu.e.s ainsi) soit durcie on comprend que le monde que nous offre la classe dominante est un monde dangereux. On comprend que l’austérité nous met bel et bien directement en danger.
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