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Gaza : 186 000 tragédies.

Writer's picture: Joseph ChangJoseph Chang


 

                Le 8 juillet 2024 la revue scientifique « The Lancet » a publié une correspondance aux conclusions sidérantes (1)  

 

                 Le chiffre réel des victimes du génocide perpétré à Gaza par l’Etat d’Israël ne serait pas de 36 000 morts, un chiffre terrifiant en soi lorsque l’on sait la proportion écrasante de civil.e.s dans le total, mais de 186 000.

 

                Le risque de génocide, signalé mainte fois par des organes de l’ONU, la par Cour internationale de Justice, ou la Cour pénale internationale , est rendu un peu plus tangible par cette estimation chiffrée vertigineuse. Comment expliquer une telle différence entre le dernier chiffre fourni par l’administration du Hamas, et les conclusions des trois auteurs de la correspondance ? En vérité, plusieurs facteurs permettent de d’éclairer ce différentiel.

 

                 Tout d’abord, les chiffres fournis par le Hamas lui-même permettent de comprendre que le niveau de mortalité est largement supérieur à celui annoncé généralement. En effet, le Hamas ne compte et ne publie que le nombre de morts qu’il a été capable de confirmer, lequel s’élevait à 37 000 au moins de juin. En parallèle de ce chiffre, il mentionne aussi celui de 12 000 disparu.e.s. Au vu de l’effondrement complet des infrastructures de santé suite aux bombardements israéliens, il est raisonnable de conclure que ces disparu.e.s sont bien mort.e.s. Ceci nous amène déjà à un total de 49 000 décès.

 

                Mais alors pourquoi ce ralentissement soudain dans l’augmentation affolante du nombre des victimes depuis quelques mois ? D’après l’analyste militaire Guillaume Ancel, interviewé sur RTL au moins de juin, c’est non seulement à cause de la disparition complète de toute forme d’administration capable de suivre les annonces de décès, mais aussi du simple fait que tenter d’assurer des communications d’une ville à l’autre, d’un quartier à l’autre, ou même d’une rue à l’autre, expose à un risque mortel tant les frappes de l’Etat israélien sont indiscriminées (2). Si le nombre total de victimes ne semble plus augmenter si vite, c’est en fait parce que l’administration gazaouie n’est tout simplement plus en capacité de les compter.

 

                Lors de cette interview, Guillaume Ancel donne sa propre évaluation. Tirant parti de son expérience militaire, qui consistait spécifiquement à évaluer les pertes suite à des bombardements, l’analyste donne un chiffre qui commence à s’approche des conclusions du Lancet. A raison de 300 bombardements par jour, dans une bande de terre à forte densité de population et sans aucune issue de secours, G. Ancel donnait déjà il y a un mois un total allant de 60 000 à 70 000 morts. Cette hypothèse étant, des mots même de l’ancien militaire, une hypothèse basse.

 

                Ce qui nous mène à l’article du Lancet. Pour arriver à ses conclusions, les auteurs de la corresponsancne ont tenu compte du niveau des frappes, du niveau destruction des habitations dans la bande de Gaza (+ de 30% d’habitations détruites), mais aussi du différentiel moyen entre les morts directes déclarés au cours d’un conflit, et le bilan des victimes total tel qu’il est connu une fois que les armes se taisent. Ainsi la correspondance reprend elle aussi l’estimation selon laquelle plus de 10 000 dépouilles sont toujours coincées sous les décombres des immeubles détruits. Mais, en tenant compte du fait que toute infrastructure civile a été purement simplement rayée de la carte, elle va plus loin en analysant les morts dues au manque de soin, au manque de nourriture, d’eau ou d’abris. Dans un tel conflit, les morts indirects peuvent être trois…à quinze fois plus nombreux que les morts directs. Ainsi en prenant, tout comme Guillaume Ancel, une estimation basse, la correspondance arrive à la conclusion horrifiante de 186 000 victimes. Près de 8% de la population de Gaza.

 

Le chiffre, choquant en lui-même quand on prend en compte le fait que la population de Gaza compte un peu plus de 2 millions de personnes, donne encore plus la nausée lorsque l’on prend en compte une précédente étude du Lancet remontant au 26 novembre 2023 et qui estimait que la part de la population civile dans le total des victimes dépassait les 68% (3). Malgré cette information capitale, la correspondance du Lancet du 8 juillet n’a eu que peu d’écho au Luxembourg. En effet, en date du 11 juin, RTL.lu semblait être le seul média d’information à avoir relayé la nouvelle.

 

                Nous parlons ici d’êtres humains. Nous parlons de femmes, d’enfants, de vieilles personnes et de jeunes combattants. Tous et toutes avaient des rêves et des aspirations autres que de mourir par les bombes, la soif ou la famine. Le meurtre de civils désarmés le 7 octobre a été à juste raison qualifiée de crime de guerre par la Cour Pénale Internationale. Tous les Etats occidentaux se sont fendus de marques de solidarité en mots et en actes. Mais ce faisant, ces derniers ont nié, et nient toujours, le contexte colonial dans lequel cette attaque criminelle a eu lieu. A l’aube du 7 octobre, des centaines de vies palestiniennes avaient déjà été arrachées à ce monde en 2023 par l’armée israélienne et les colons en Cisjordanie. Cette réalité est toujours passée sous silence alors qu’elle est capitale pour comprendre la situation actuelle. C’est cette réalité qui fait que nos Etats soutiennent toujours un Etat d’apartheid, et son gouvernement génocidaire, des mois après avoir été avertis par la Cour internationale de Justice que le risque de génocide était bien réel. C’est cette réalité qui fait que les vies palestiniennes valent de fait moins que les vies israéliennes au regard de nos gouvernants. Car la colonisation ne peut se déployer que grâce à la déshumanisation du colonisé par le colonisateur.

 

                Il ne s’agit pas ici d’une position morale, même si la morale est un bien précieux, mais d’une lecture pragmatique dont devrait s’inspirer ceux qui parlent de paix sans jamais parler de justice. Sans démantèlement des structures suprématistes de l’Etat israélien, sans droit de retour, sans droit démocratique égaux pour toute personne  musulmane, juive, ou chrétienne vivant sur le territoire de la Palestine historique, il n’y aura jamais de paix. Les 186 000 tragédies de Gaza nous regardent depuis l’au-delà. Le futur n’est pas linéaire, le pire n’est jamais la continuation d’un présent catastrophique ;plus que jamais il faut cesser de livrer tout ce qui permet au gouvernement israélien de mener sa guerre criminelle contre l’humanité, plus que jamais il faut imposer le cessez-le-feu et la libération de tous les otages israéliens et palestiniens sans distinction, plus que jamais il faut soutenir un processus de décolonisation en Palestine. C’est à ce prix seulement que l’on pourra espérer une justice, c’est à ce prix seulement que l’on pourra parler de paix.

 

De la mer au Jourdain.


sources:

 

 

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